La vie n’est pas tout
Cet homme n’était pas différent des autres personnes de la ville. Il a été élevé dans un voisinage ordinaire, a eu des amis ordinaires, et après avoir fait des études ordinaires, il s’est trouvé un emploi ordinaire. Depuis lors, il a rencontré une femme ordinaire, a mis au monde des enfants ordinaires et vivait maintenant sa routine ordinaire comme toutes les personnes qu’il connaissait. Ce qu’il adorait faire était d’échapper à la réalité en se couchant sur le toit de l’immeuble dans lequel il travaillait. Il aimait bien croire que cette activité le rendait différent des autres.. Mais aujourd’hui n’avait pas commencé ordinairement: son véhicule ordinaire a eu une panne sur le chemin du travail et il dut arriver en retard pour la première fois. Il dut écouter son patron s’étendre sur la ponctualité, les excuses et les responsabilités pendant quinze minutes. Puis, quand l’heure du dîner arriva, il monta quatre à quatre les marches menant au toit. Quand il mit la main sur la poignée de la porte, il sut que quelque chose n’allait pas:cette dernièren’était pas bien fermée. Il la poussa et aperçut une jeune fille, pas plus de vingt ans, couchée sur le rebord du petit mur du toit, tout près d’une chute mortelle de douze étages.
‒ T’aimes échapper à la réalité des fois aussi, hein? dit l’homme.
‒ J’aimerais trop… répondit la jeune fille dans un triste souffle, J’aimerais que ça soit si facile.
Le poids dans le ventre de l’homme devint plus pesant, il était apparut lorsque son auto tomba en panne et avait coulé avec le sermon de son patron. Mais il venait de toucher le fond, une jeune fille qui squattait son endroit préféré. Il alla s’asseoir à côté de la fille, ne sachant trop quoi dire ou faire, laissant pendre ses jambes devant un vide vertigineux.
‒ De quoi tu parles? demanda‒t‒il.
La fille s’assit et accota son front contre ses genoux. Il put voir ses épaules sursauter et entendit de lents sanglots.
‒ Oh, continua‒t‒il, mais qu’est‒ce qui ne va pas?
Elle leva la tête, la pris entre ses mains et cria littéralement.
‒ La vie n’en vaut pas la peine! Je ne veux plus vivre… Je ne peux plus vivre sans eux!
L’homme n’avait jamais imaginé que quelque chose comme cela pouvait lui arriver, à lui. Son cerveau n’acceptait pas encore l’idée que c’était vrai, maintenant. Il ne savait pas quoi faire… Ou encore quoi dire, mais voulait‒il vraiment le savoir, ce n’était pas son problème! Il voulait seulement relaxer un peu et il l’a rencontrée. Devrait‒il s’en aller et alerter la police? Devrait‒il aider cette pauvre jeune fille, lui parler, tenter de la convaincre de rester en vie? Pendant qu’il retournait ces pensées dans sa tête, la fille sanglotait à profusion. Il restait planté la, assis, à regarder l’immeuble d’en face. Elle interpréta ce silence comme une invitation à parler, même si elle souhaitait mourir, elle se sentit bien en comprenant que quelqu’un l’écouterait.
‒ Je viens juste de perdre mon petit ami, dit‒elle doucement, ainsi que mes trois seuls vrais amis.
‒ Et tu crois que c’est une raison pour mourir, dit l’homme, tu as encore toute la vie devant toi!
‒ Je sais bien. Mais je ne peux continuer à vivre avec un fardeau de quatre vies sur le dos jusqu’à ma mort. J’étais au volant de ce putain de char.
Des larmes coulèrent sur ses joues. L’homme ne savait quoi répondre. Il n’avait rien à répondre. “Qu’y a‒t‒il à répondre?” se demanda‒t‒il. “Je devrais m’en aller et éviter le trouble”. Il voulait mais ne pouvait pas. Il ne pouvait simplement pas forcer son corps à bouger, peut‒être parce qu’il craignait la réaction de l’adolescente ou encore car il se sentait mal de laisser seul une personne en détresse. Peu importe, il devait rester.
‒ Tu peux me dire ce qui est arrivé? demanda‒t‒il en essayant de garder son esprit concentré.
‒ Nous allions au chalet de mes parents pour la fin de semaine, commença‒t‒elle, mes trois meilleurs amis m’accompagnaient, Alisha, Sophia et Steve, ainsi que mon copain, Patrick. Ma mère nous avait donné carte blanche, son auto, son chalet, nous étions si excités!
Un peu de joie ressortit de ses derniers mots.
‒ Je sais que ça va sonner stupide, mais l’auto de ma mère n’est pas n’importe quoi. C’est… C’était une RSX de Acura, puisque ça a été une perte totale. Les deux gars voulait que j’écrasent le gaz. J’étais réticente au début, mais ils m’ont eu après un moment. Il ne cessait de dire “allez, c’est une ligne droite et il n’y a personne à l’horizon, allez, ça sera amusant!”
Des larmes perlèrent au coin de son oeil.
‒ Je n’aurais jamais dû les écouter, pleura‒t‒elle, J’aurais dû rester la nerd que j’ai toujours été et suivre la limite de vitesse. Je n’avais jamais conduit vite avant… Il fallait que je me décide à ce point…
En même temps que des larmes coulaient le long de son visage, elle sanglotait encore. L’homme était bouche bée, il avait de la difficulté à concevoir les faits devant lui, et ne pouvait simplement pas juger cette pauvre fille.
‒ Mais ce n’était pas ta faute, dit‒il.
‒ Comment peux‒tu juger de ça? Tu n’étais pas là, tu n’es pas Dieu à ce que je sache, et pourquoi est‒ce que je te raconte tout ça? Je t’ai rien demandé, je veux seulement mourir, ma vie est une merde du début à la fin.
‒ Ne dis pas ça! répondit‒il, si la vie était si merdique, personne ne voudrait rester en vie.
‒ Ouais et si Bush n’était pas un vrai imbécile, il ne serait pas président. J’ai entendu trop souvent toutes ces conneries d’”optimisme”. Maintenant laisse‒moi tranquille.
Encore une fois, il s’était fait virer de bord. Ses arguments ne tenaient pas debout. Mais pourquoi ça semblait si important pour lui? Elle pourrait bien sauter et sa vie ne changerait pas pour autant. Était‒ce parce qu’il est humain? Parce qu’il avait un coeur? Ou peut‒être simplement la petite voix au plus profond de lui qui lui disait de ne pas la laisser seule. Il ne pensa pas plus loin car après un petit moment de silence, elle continua à parler. Peut‒être sentait‒elle le besoin de vider ses trippes avant de les écraser sur le trottoir.
‒ Le jour où l’on naît, dit‒elle, on est damné. Personne n’y échappe. On va tous mourir, après avoir travaillé si dur à baiser les autres, à tuer des innocents, ou en encourageant des massacres pareils, en détruisant l’environnement, tout ça pour une mort lente, douloureuse et dégueulasse étalée sur vingt ans, grâce à nos très bons médicaments, pendant que nous devenons de plus en plus végétal et dépendant à toutes ces conneries, se décomposant lentement. Dis‒moi, c’est quoi le but de tout ça? Ne pense même pas à me dire que c’est la quête du bonheur, car personne n’est réellement heureux, personne ne meurt heureux et personne n’est heureux face à la mort. Pourquoi ne pouvons nous pas être comme les autres animaux? Pourquoi devons‒nous prétendre être différent, prétendre que nous sommes plus intelligents? Pourquoi ne pouvons nous pas vivre avec seulement ce que la nature nous as donné, sans créer de merde qui rendrais nos vies plus “facile”? Nous pourrions tous mourir sans vivre dans l’attente d’une mort certaine. Une souris ne sait pas quand ce hibou va lui arracher la tête! On aurait pas besoin d’avoir peur de se faire tuer dans une ruelle par un connard! Pourquoi est‒ce qu’on ne se tue pas dès maintenant, je ne vois toujours pas ce qu’on retire de la vie… On meurt tous un jour de toute façon. On meurt tous…
La dernière phrase fut prononcée avec désespoir. Ce qui frappa l’homme droit au visage, c’est qu’il n’avait jamais imaginé que quelqu’un puisse penser comme ça, vivant dans son petit monde parfait, comme le reste du monde d’ailleurs.
‒ Ça doit pas être facile pour toi de comprendre ce que je vis en ce moment, dit‒elle. Peux‒tu même juste toucher aux émotions qui emplissent ma tête?
‒ Ça ne peut qu’être terrible, dit‒il doucement.
‒ Je les entends encore crier, je peux encore voir leur visage traumatisé pendant que l’auto faisait des tonneaux. Je vois encore leurs yeux livides lorsque je rampais vers eux, les suppliant de me répondre, même un seul petit mot. Mais ils ne bougeaient pas, il étaient étendus, sans vie, à cause de moi!
‒ Comment as‒tu perdu le contrôle?
‒ Il y avait une bosse sur le chemin. Ça ne paraît peut‒être pas assez, mais en roulant à 220 km/h, c’est assez pour me crisper les muscles et écraser les freins à fond. La RSX a commencé à glisser et a quitté la route. Les roues ont accrochées dans le fossé et la voiture a commencé à faire des tonneaux. Je ne me souviens que du reste, lorsque je me suis réveillé, voyant mes amis éparpillés ici et là.
Des larmes perlèrent dans ses yeux verts de nouveau et elle mit son visage entre ses mains tremblantes.
‒ Pourquoi me fais‒tu passer à travers ça à nouveau? cria‒t‒elle.
‒ Mais je…
Elle le coupa rapidement.
‒ Ta gueule, ferme‒là, arrête de parler!
‒ Ce n’était pas ta faute… dit‒il tout bas.
‒ As‒tu déjà pensé que ce que tu pensais n’était peut‒être pas la vérité, que ce n’est peut‒être pas ce que la vie est réellement? Tu penses que tu pourrais vivre avec quatre familles qui te détestent car tu as survécu, une école au complet qui te regarde croche et la moitié qui te déteste aussi? Sais‒tu ce que c’est que de voir les quatre personnes qui te sont le plus cher mourir devant toi? Dis‒moi, hein?
‒ Je ne sais pas… Mais ce n’est pas une raison pour te tuer, je suis sur que tu peux cont…
Une nouvelle fois, il ne put finir sa phrase.
‒ Si je veux continuer à vivre est la foutue question! Peut‒être que je veux mourir!, peut‒être que je ne peux continuer à vivre avec un tel fardeau sur les épaules. Et je ne t’ai jamais rien demandé de toute façon, j’aurais jamais dû te parler et sauter il y a un moment. Ça serait finit. Je rejoindrais mes amis, où qu’ils soient.
‒ Tu penses qu’il voudrait ça? demanda l’homme, furieux puisqu’elle ne semblait pas écouter, comme lui d’ailleurs. Tu penses qu’ils voudraient que tu meurs, ou bien s’ils voudraient que tu continues à vivre et que tu sois heureuse?
‒ Mais je m’en fous! Je me fous de ce qu’ils “voudraient”, je veux mourir, je veux les voir et leur demander pardon, je ne peux vivre avec eux sur la conscience… Ils sont morts.
Avant que l’homme ne puisse penser à quoi répondre, elle continua.
‒ Non, ça ne passera pas avec le temps. Je n’oublierai jamais leurs visages vides et sans vie lorsqu’ils étaient couchés autour de moi… Désolé monsieur, mais tu ne peux pas m’aider, j’ai pris ma décision cette journée la.
‒ Appelle‒moi Gabriel.
Il se leva etavança tranquillement vers la porte.
‒ Je suis Madeleine… dit‒elle lentement.
Je m’en souviendrai. On se reverra quand je serai mort, et je te parlerais de ma belle vie, et tu verras que la vie en vaut la peine.
Sans lui laisser le temps de répondre, il ferma la porte derrière lui. Depuis ce jour, Gabriel n’a vécu aucun jour comme le précédent. La jeune fille se leva sur le rebord de l’immeuble, regarda en bas et murmura au vent: “Merci Gabriel, jamais je ne t’oublierai.” Elle étala ses bras de part et d’autre et laissa la gravité la tirer vers le bas. En tombant, des milliers de voix atteignirent son oreille, la consolant doucement, lui disant qu’elle est en sécurité, qu’elle ne doit pas avoir peur. Elle sentit son corps entier se réchauffer en même temps qu’un sourire apparu sur ses lèvres et finalement, son âme quitta son corps quand ce dernier s’écrasa, tête première, sur le trottoir.
On ne peut tous être des héros, mais certains peuvent quand même être nos anges.
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